vendredi 13 août 2010

Réponse à Jean-Marc au sujet de la Philosophie et du Taoïsme

Pour répondre à ton premier commentaire, je dirais que j'aime le texte de Lao Tseu car il ne se permet pas de "dire" quoi que ce soit à propos du "Tao", il ne dit même pas qu'il y a moyen de "ressentir".
Voici le tout premier verset de "La Voie";

"La vérité que l'on veut exprimer
N'est pas la vérité absolue.
Le nom qu'on lui donne
N'est pas le nom immuable.
Vide de nom
Est l'origine du ciel et de la terre.
Avec nom
Est la mère des multitudes d'êtres.


Le vide de l'être
Médite la racine de toutes choses


L'être
Considère ses manifestations.


Tous deux sont un
Mais par leurs noms diffèrent.




Un qui est secret
Mystère du mystère

Porte secrète des mystères.

Il est d'ailleurs étonnant de constater que les religions juives et catholiques parlent du Fils de l'homme comme étant le "Verbe" fait chair.. le "verbe"  étant inhérent à la nature humaine et inexistant en ce qui concerne l'en-deçà ou l'au-delà de l'humanité.

En ce qui concerne ton second commentaire , as-tu constaté qu'à aucun moment le taoïsme ne pose et ne se pose de questions  (dans les 85 versets , il n'y a ni question ni réponse à des questions )? Or les questions et les réponses sont l'apanage de la philosophie.

Je terminerai par ce texte de Hervé Collet :

"La pensée analytique contrairement à la pensée intuitive (étymologiquement contemplative") appréhendant globalement, sépare l'évènement total, unique et éternel qu'est le cosmos (le tout) en fragments, se prêtant à une description linéaire au moyen de mots et de symboles. Tant et si bien que la pensée occidentale, dans sa dérive analytique, en est venue à rechercher plus une théorie du monde qu'un accomplissement de l'être. Le discours au détriment de l'expérience. L'objet de la philosophie et de la science occidentale est de circonscrire l'univers dans le filet des mots et des nombres. Mais il y a toujours le risque, voire la tentation de confondre les règles et les lois du filet avec l'opération réelle de la nature. De confondre le menu avec le repas et la carte avec le territoire. A observer le monde sur le mode analytique, fragment par fragment, l'observateur scientifique ou philosophique finit par être convaincu que le monde est comparé d'éléments séparés. Se pose alors à lui le problème de comprendre comment ces choses, ces évènements sont reliés entre eux, et il n'en finit pas de s'interroger sur leurs liens de causalité. C'est là le sort d'une partie importante du discours scientifique, philosophique et théologique, qui se retrouve, au fond, hors sujet, hors jeu après avoir perdu de vue l'unité du moi-monde"

Personnellement, j'aime à me dire qu'à force de chercher, les philosophes trouvent (cherchez et vous trouverez, demandez et "on" vous répondra).
Le jour où ils trouvent, ils se taisent parce qu'il n'y a plus rien à dire.
J'aime à penser cela.

J'aime les ex-philosophes muets

5 commentaires:

Jean-Marc a dit…

Je voudrais commencer à répondre en réagissant au texte d'Hervé Collet. La philosophie analytique ne constitue pas toute la philosophie, elle n'en constitue qu'un courant et ce serait dommage de rejeter la philosophie dans son ensemble uniquement à cause d'un de ses courants. La philosophie analytique repose sur le discours de la méthode de Descartes ("Établir un ordre de pensées, en commençant par les plus simples jusqu'aux plus complexes et diverses, et ainsi de les retenir toutes et en ordre."). Heureusement la philosphie a donné naissance à d'autres courants depuis. Ce n'est pas par hasard si la thèse de doctorat de Levinas portait sur la théorie de l'intuition chez Husserl. Gendlin s'oppose justement à l'observation du monde fragment par fragment, ce qu'il appelle "unit model" (également associé ici à la pensée occidentale) :

"We are all imbued with the classical Western unit model. We can hardly think in any other way. What we call “thinking” seems to require unitized things which are assumed to be either cleanly identical or cleanly separate, which can be next to each other but cannot interpenetrate, let alone have some more complex pattern. If, for example, there are two things which also seem to be one in some intricate way, rather than try to lay out this intricate pattern in detail, thinking tends to stop right there. We consider the sense of such a thing as if it were a private trouble. It seems that something must be wrong with us because “it doesn’t make sense.” And yet we keep on having this stubborn sense which does not fit in with what is already articulated in our field. It probably stems from a genuine observation which does not fit the unit model."

Concernant le Tao-Te-King, si du Tao nous ne pouvons rien dire, nous pouvons néanmoins parler de notre attitude (face/à l'intérieur du Tao). Le Tao-Te-King nous recommande de ne rien vouloir, de ne pas agir. Il s'agit bien là d'attitudes et de celà nous pouvons parler puisque le Tao lui-même le fait. La question est de savoir si nous considérons que le Tao-Te-King a tout dit et qu'il n'y a rien à ajouter (dans ce qu'il s'agirait d'un livre "révélé") ou si nous considérons que le Tao-Te-King traite d'une expérience et qu'il y a moyen de la prolonger, de l'approfondir. Comment développer des concepts pour dire plus précisément notre attitude dans le Tao ?

J'aime les philosophes qui ont trouvé et qui reviennent pour dire leurs découvertes, même si c'est maladroitement et de manière partielle. Ils montrent ainsi un chemin à ceux qui sont la souffrance, leur évitent de devoir errer pendant des décénnies. Comment rentrer dans le mystère.

http://anonymousfocuser.skynetblogs.be/archive/2009/04/14/mystere.html

http://anonymousfocuser.skynetblogs.be/archive/2008/06/02/vivre-a-l-interieur-d-un-mystere.html

http://anonymousfocuser.skynetblogs.be/archive/2008/02/25/mystere.html

http://anonymousfocuser.skynetblogs.be/archive/2009/08/12/inversion.html

catherine a dit…

@Jean-Marc

Tu as sans doute raison et il y a sûrement des philosophes comme Husserl qui ont considéré cette partie de l'être qui ne répond plus à la raison et au découpage analytique .

J'ai vu récemment une interview de Lévinas à la fin de sa vie.
Je le trouvais confus dans ses explications mais il y avait dans son regard une telle bienveillance et dans son attitude un tel désarmement que je ne doute pas qu'il ait "trouvé" quelque chose. Son discours sur l'interpellation du visage humain est touchant ( en ce sens qu'il touche quelque chose à l'intérieur de l'être)

http://jecrie-jecris.blogspot.com/2008/05/le-visage-de-lamour.html

Et bien sûr, c'est justement à parce que Gendlin s'est opposé à la fragmentation que le focusing peut marcher.

Je pense que l'on peut dire avec confiance que le Tao n'est pas un livre "révélé" au sens chrétien du terme mais en suivant la Voie qui ne propose que des attitudes comme tu le dis, quelque chose peut se révéler..

Je suis d'accord que ces attitudes peuvent être développées et étudiées, elles l'ont d'ailleurs été et il existe de nombreux livres explicatifs postérieurs à la Voie . (Même actuellement, Claude Margat , peintre taoïste, dans ses écrits, ne fait pas autre chose)

Cependant, ce "quelque chose" peut aussi se révéler sans que l'on ne suive aucune voie ou alors une certaine voie écrite à l'intérieur même de nous.

Pour ma part, aucun philosophe ni aucune religion ne m'avait "soulagé" avant ma rencontre avec le taoïsme...
Quoique..c'est peut-être à force de lire et de rencontrer philosophes et religieux, qu'un certain dépouillement s'est fait en moi qui m'a conduite au taoïsme.

Je me souviens qu'un jour mon ami Jean-Jacques taoïste m'a dit en lisant mes écrits ; "bienvenue au club"
J'y étais arrivée sans même le savoir.
En ce sens , il me semble que le taoïsme a quelque chose de "ce fondamental" inscrit au centre de l'être. Pour ma part, je l'ai trouvé au fonds d'un puits de souffrance. Au fonds du puits, il y avait une porte..le taoïsme.

Jean-Marc a dit…

Faire de la philosophie de manière précise et rigoureuse est un travail assez ingrat. Il est incompris du grand public, il est vraiment ardu, souvent inaccessible et ne conduit pas nécessairement à des résultats utiles.

En même temps, c'est la seule possibilité que nous ayons - intellectuellement parlant - de revoir les fondements de nos conceptions et de vraiment construire une connaissance nouvelle qui nous permette de sortir des sentiers battus.

Je pense que la philosophie est loin d'être inutile (la vraie, pas celle de BHL, Gluckman, Bruckner & Co), c'est le seul outil valable que nous ayons dans l'aventure que nous voulons entreprendre. Les sciences humaines sont incapables de repenser leurs fondements. Par exemple, la psychologie dans ses concepts n'a plus progressé depuis Skinner (et les thérapies en général ne fonctionnent pas).

Beaucoup de gens confondent "pensée New Age" et philosophie ou "idéologies" et philosophie. Un bouquin "New Age" parlera de "conscience cosmique" à la première page tandis qu'Heidegger a consacré tout un ouvrage pour tenter de réponse à la question "Qu'est-ce qu'une chose ?".

Nos conceptions usuelles sont enfermées dans le langage et, pour en sortir, nous devons d'abord déconstruire notre langage. Faire table rase de tous nos présupposés et reconstruire en collant le plus près possible à l'expérience.

Mais le siècle n'est pas vraiment à la réflexion, mais au marketing :).

Jean-Marc a dit…

J'ai l'impression qu'il y a un peu une confusion, dans nos discussions, entre "vivre une experience" et "faire de la philosophie".

Tu me dis que "faire de la philosophie" n'est pas une expérience de vie intéressante, un point de vue que je partage en très grande partie.

La philosophie est une méthode d'investigation, elle nous permet d'interroger nos modes de vie, de créer de nouveaux concepts et ces concepts nous permettent à leur tour de trouver, d'inventer des chemins dans l'existence, de les transmettre à d'autres.

catherine a dit…

@Jean-Marc

Comment dire...
Après avoir longtemps investiguer, interroger mon mode de vie, chercher mon chemin dans l'existence, j'ai compris qu'il n'y avait rien à trouver, que la vie se déroulait d'elle-même sans chemin tracé à l'avance et que je n'avais pas à adopter un quelconque mode de vie mais seulement à vivre ce qu'il y avait en moi.
La pensée, la mienne, la tienne, celle des philosophes ou autres , ce ne sont que des créations de l'esprit..Il y a quelque chose en deça et ce quelque chose-là nous mène si loin.
la vie n'a pas à être pensée mais à être vécue ...
La pensée a quelque chose à voir avec la notion de péché originel dans la bible ..(l'arbre de la connaissance) ..sans cette pensée, nous serions au paradis ici et maintenant.